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mercredi 28 février 2024

L'abécédaire de Michel de Montaigne - Michel Magnien


Avec son sens aigu du paradoxe, vu sa solide culture humaniste, Montaigne n’était pas loin de recommander à ses lecteurs une « ignorance abécédaire ». [M.M.]

La formule de l'abécédaire peut parfois être intéressante dans le sens où elle permet de regrouper des éléments épars dans l'œuvre étudiée sous un nombre restreint de thèmes organisés de façon arbitraire selon l'ordre alphabétique. Parfois, aussi, cette façon de faire éclate les idées du texte et les morcelle dans une suite qui n'a de sens que par la première lettre des mots mis en évidence. Cette fois-ci, à la lecture de ce parcours dans les réflexions de Michel de Montaigne, je crois que j'ai ressenti plus d'une fois le désarroi dans les sauts thématiques que l'alphabet nous dessine. À travers cela, bien sûr, j'ai tout de même apprécié lire et relire les idées de ce philosophe humaniste et je ne m'en suis pas privé. 

[...] à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine. [Montaigne]

Assignation - Il y a du travail à jouir de la vie ; j’en jouis au double des autres, car la mesure en la jouissance dépend du plus ou moins d’application que nous y prêtons. [Montaigne]

Citations - Qu’on voie, en ce que j’emprunte, si j’ai su choisir de quoi rehausser ou secourir proprement l’invention, qui vient toujours de moi. Car je fais dire aux autres, non à ma tête, mais à ma suite, ce que je ne puis si bien dire, par faiblesse de mon langage, ou par faiblesse de mon entendement. [Montaigne] 

Franchise - Un parler ouvert ouvre un autre parler et le tire hors, comme fait le vin et l’amour. [Montaigne]

Et si j’eusse eu à dresser des enfants, je leur eusse tant mis en la bouche cette façon de répondre enquêtante, non résolutive : « Qu’est-ce à dire ? Je ne l’entends pas. Il pourrait être. Est-il vrai ? », afin qu’ils eussent plutôt gardé la forme d’apprentis à soixante ans que de se prendre pour des docteurs à dix ans, comme ils font. Qui veut guérir de l’ignorance, il faut la confesser. [Montaigne] 

Sagesse - Quand bien nous pourrions être savants du savoir d’autrui, au moins sages ne pouvons-nous être que de notre propre sagesse. [Montaigne] 

Solitude - Je trouve aucunement plus supportable d’être toujours seul que de ne le pouvoir jamais être. [Montaigne] 

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Comment vivre ? : une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse 

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Philosophie Magazine - Hors-série Montaigne

01/01/2015

 


dimanche 7 janvier 2024

Si Rome n'avait pas chuté - Raphaël Doan

Dans les pages qui suivent, vous découvrirez un monde qui ne ressemble à aucun autre. [R.D.]

Voici donc un travail d'historien qui explore méthodologiquement et conceptuellement de nouveaux territoires, le défi était grand. L'auteur l'a relevé en partie.

J'avais entendu une entrevue radiophonique avec Raphaël Doan. Il y présentait son projet d'utiliser l'uchronie comme support à la réflexion historique. Cela n'est pas fréquent, mais pas totalement nouveau en soi. Là où Si Rome n'avait pas chuté présente un profil distinct, c'est dans la contribution systématique de l’intelligence artificielle à l'élaboration de la société qui aurait pu exister si la chute de l'empire romain n'avait pas eu lieu. Entendons-nous, la part d'invention livrée par l'IA est bien dirigée, encadrée et orientée par l'auteur. Celui-ci n'a pas demandé à l'IA d'écrire d'un seul jet l'ensemble de sa partie. 

Une fois cela dit, chacun des chapitres comporte donc une part d'uchronie rédigée par l'IA. Il y a là un certain intérêt à constater l'invention qui peut être déployée, mais la prose est dite sans couleur et recto tono et on reconnaît l'apport terne de la machine. C’est un peu décevant. L’intérêt principal de cet ouvrage réside dans les commentaires de l'historien qui viennent recadrer, relancer le propos, s'appuyer sur celui-ci pour aller plus loin, puiser dans l’expérience historique pour signifier d'autres pistes. C'est ici que l'on comprend en quoi ce travail peut constituer une participation à la réflexion méthodologique de l’activité de l'historien. Mais, est-ce suffisant? 

On doit noter aussi que le recueil comporte plusieurs illustrations produites par l’intelligence artificielle. Cela relève plus, selon moi, du graphisme anecdotique que de l'illustration contributive.



mercredi 8 novembre 2023

Le plagiat par anticipation - Pierre Bayard

Le plagiat est aussi ancien que la littérature, à laquelle il rend indirectement hommage. [P.B.]

À chaque fois que j'aborde une nouvelle œuvre critique de Pierre Bayard, je redécouvre tout ce que le plaisir de la lecture me fait vivre et comment comme lecteur, avec mon histoire de livres lus, de livres connus ou même de livres que je n'ai pas lus, mais dont je peux parler, je teinte le livre que je lis, contribue à l'image que je m'en fais et collabore ainsi à sa création. C'est en 2009 que Bayard publie Le plagiat par anticipation. Il ne s'en cache pas, il n'est pas le créateur de ce concept déjà largement débattu par l'Ouvroir de littérature potentielle (l'Oulipo). En effet, les membres de ce groupe de chercheurs littéraires ont souventes fois reconnu dans des œuvres du passé des contraintes d'écriture qu'ils venaient pourtant de cerner. C'est dans ce cadre qu'ils mettent en lumière dans le passé quelques plagiaires par anticipation d'œuvres plus récentes. 

Bayard précise ici la définition du plagiat par anticipation en lui réattribuant l'intentionnalité comme élément essentiel et en en faisant ainsi le double symétrique du plagiat classique. C'est dans cet ordre d'idée que Bayard peut prétendre retrouver quelque chose de Conan Doyle chez Voltaire, particulièrement dans son conte philosophique Zadig ou la destinée. On prend plaisir à découvrir ainsi quelques plagiaires de renom puisant dans l'histoire littéraire qui les suit des idées, des thèmes, des styles qu'ils insèrent dans leurs travaux écrits. On sent tout l'humour ironique de Bayard poindre dans cet essai qui prône pour une nouvelle façon de concevoir l'histoire littéraire qui se transposterait également dans le domaine des arts.

Pierre Bayard m'a encore une fois passionné par sa fiction théorique.

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07/09/2022

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Le titanic fera naufrage

26/09/2020



vendredi 27 octobre 2023

Esthétique de l'Oulipo - Hervé Le Tellier

Nous sommes en septembre 1960. À Cerisy-la-Salle, sous la présidence de Georges-Emmanuel Clancier et de Jean Lescure, se déroule la décade «Raymond Queneau ou une nouvelle défense de la littérature française». De la rencontre de certains participants va naître l'Oulipo. [H.L.T.]

Pourquoi n'ai-je pas lu plus tôt cette œuvre majeure de l'univers oulipien ? J'en connaissais pourtant l'existence. Il y a bien sûr une question de disponibilité, du texte, assurément, mais aussi du lecteur que je suis. Il est possible que j'envisageais une lecture plus ardue qu'elle ne l'a été en réalité et que je l'ai différé quelque peu. Quoi qu'il en soit, une visite à la bibliothèque m'a permis récemment de me plonger avidement dans cette lecture et ce saut m'a éclaboussé de joie. J'ai pris un grand plaisir à accompagner Hervé Le Tellier dans ce parcours un brin inhabituel de l'œuvre oulipienne, un brin inhabituel parce que l'auteur y donne une importante touche linguistique. Cela donne au regard qu'on porte sur l'Oulipo une profondeur plus intense et un champ de vision plus large. 

On trouvera dans cet essai un peu d'histoire de ce groupe commutatif et associatif qu'est l'Ouvroir de littérature potentielle, mais on verra surtout comment il s'inscrit dans ses propres influences par le plagiat par anticipation, concept à la fois novateur et prometteur. Le lecteur comme contributeur à la création y retrouve une place en toute congruence et complicité :

Si, dixit Duchamp, «ce sont les regardeurs qui font les tableaux», ce sont les lecteurs qui font les œuvres. [H.L.T.]

On verra l'Oulipo comme un apport à l'internationalisation de la langue et des jeux qu'on peut y créer, de la linguistique appliquée à la traduction inventive par torsions et distorsions. Les contraintes induites par l'Ouvroir sont placées dans un large cadre d'art ludique et de bibliothèques autant fictives qu'ouvertes et créatives. 

Il faut bien avouer que je suis, en ce qui concerne le monde oulipien, séduit d'avance. Mais le parcours a été particulièrement jouissif et m'a permis d'ajouter nombre de lectures potentielles à la liste toujours grandissante des livres que j'espère lire. 

Où ai-je lu qu’il existe deux sortes d’arbres, les hêtres et les non-hêtres? [Oulipo]
La seule mémoire de Cantatrix sopranica corrompt la lecture «sérieuse» d’un article scientifique. La liste des articles de référence, qui court sur quatre pages, contient force morceaux de bravoure, arrachant un sourire aux plus atrabilaires. [H.L.T.]

Lecteur, encore un effort ... Oui, encore un effort. La lecture devient ici exigeante. Il ne te suffit plus, lecteur (comme apostropherait Calvino), de te laisser guider benoîtement. Tu dois désormais, si tu veux profiter de tout le sel du texte, accepter la difficulté, accepter parfois de lutter avec lui, avec son sens, avec ses sens. [H.L.T.]

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La disparition de Perek

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vendredi 1 septembre 2023

Georges Perec en dialogue avec l'époque et autres entretiens - Georges Perec

Quel plaisir de lire ces entretiens que Georges Perec a tenus depuis la publication du roman Les choses en 1965 jusqu'en 1981, quelque temps avant son décès, des entretiens où il fait état de ses œuvres, du contexte de leur écriture, de l'état d'âme qui les a faites naître. On a là des entretiens qui sont parfois teintés d'un thème prédominant comme la mémoire, le jeu ou les contraintes, des entretiens qui souvent coïncident avec les dernières publications : Les choses, Un homme qui dort, La boutique obscure, Je me souviens ou La vie mode d'emploi. On lit l'importance que l'Oulipo a pu avoir dans sa démarche. 

Les réflexions de Perec sur sa production demeurent toujours exaltantes pour qui cette oeuvre est connue et essentielle. Je ne me cache pas d'être de ceux-là. J'ai donc savouré ces retours en arrière où Perec s'exprime sur ses projets aussi divers que pertinents. 
Si vous voulez : « Mourir d'amour me font, belle Marquise, vos beaux yeux », c'est le début de la littérature. Le résultat n'est pas très bon, mais c'est la même démarche : quand M. Jourdain comprend que la charge « poétique » de sa phrase change avec l'ordre de ses mots alors que le sens reste le même, il découvre la littérature. Et je crois que la première méthode que l'on peut mettre en œuvre pour aboutir à cette attitude, c'est le jeu. [«Et ils jouent aussi... Georges Perec», Propos recueillis par Jacques Bens et Alain Ledoux, Jeux & Stratégie, no 1, février 1980]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

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Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques 

30/05/2010

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Espèces d’espaces

05/06/2017

Perec

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Georges Perec

16/02/2010

Perec

Georges

L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation

15/03/2009

Perec

Georges

L’attentat de Sarajevo

05/09/2016

Perec

Georges

La vie mode d’emploi 

10/02/2016

Perec

Georges

Le Voyage d’hiver et ses suites

22/08/2019

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Penser / classer 

30/05/2016

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Tentative d’épuisement d’un lieu parisien

09/07/2018

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Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau

13/06/2020

Perec

Georges

Un homme qui dort

02/10/2016

 

vendredi 30 décembre 2022

Un café avec Marie - Serge Bouchard


Nous sommes en après-midi et, déjà, la matinée me manque. [S.B.]

Comment décrire cet ensemble de chroniques de l'anthropologuehomme de radio et chroniqueur, Serge Bouchard sinon qu'il s'agit de se permettre d'entendre sa voix posée nous raconter dans l’oreille les observations qu’il a pu faire ainsi que ses réflexions les plus intuitives sur l’amour, le temps, l'histoire et le monde tel qu'il est, fruit d'un passé trop souvent méconnu. C'est en posant un œil bienveillant sur la société qu'il porte un discours bien personnel qui s'inscrit en une série de microessais d'abord écrits pour la radio. Bien sûr, le deuil de sa compagne Marie vient teinter l'ensemble, mais c'est aussi le bonheur du café partagé avec la même Marie qui en rend la lecture joyeuse. S'il traite de souvenirs personnels, c'est également de la mémoire collective dont il est question. À travers cet ensemble de textes, Bouchard nous livre une part de son humanité et, par là, contribue à nos propres réflexions sur le monde.

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Bouchard

Serge

Elles ont fait l’Amérique. De remarquables oubliés, tome 1 

30/06/2016

Bouchard

Serge

L’œuvre du Grand Lièvre filou

16/06/2019


mercredi 28 décembre 2022

De préférence la nuit - Stanley Péan

Qu'est-ce que cette chose appelée jazz ?   

Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment à cette question que répondent ces textes de Stanley Péan, à moins que ce ne soit de façon détournée et peut-être plus parlante, en nous faisant sentir l'époque, la société dans la marge de laquelle fourmillaient des orchestres naissants, des interprètes inspirés et des musiciens enflammés. Stanley Péan adopte un ton personnel pour nous faire vivre des parcours hors du commun, notamment ceux de Clifford Brown­­­, de Art Blakey, de Lee Morgan, ou encore Miles Davis, des parcours qui s'expriment dans un contexte de lutte pour les droits civiques des Afro-américains, des parcours qui se sont inscrits de diverses façons dans l'histoire culturelle, que ce soit au cinéma ou en littérature. Stanley Péan rapporte dans ces quelques récits ces magnifiques croisements et interfaces entre l'histoire du jazz, l'évolution de la société et celle de la culture. Voilà donc une lecture qui s'écoute, même si parfois elle peut paraître réservée aux connaisseurs, il faut se laisser secouer par le hard bop revendicateur qui propulsait une nouvelle voix au devant de la scène.

Et pour citer le pianiste Thelonious Monk, à qui l'on doit une centaine de compositions majeures du répertoire moderne, il faut, au moment d'entamer un chorus, avant de jouer la moindre note, s'assurer que celle-ci est véritablement préférable au silence. [S.P.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Péan

Stanley

Crépusculaires

25/06/2023

Péan

Stanley

Jazzman 

19/09/2010

 

jeudi 22 décembre 2022

L'art de philosopher - Bertrand Russell

Commençons par dire quelques mots de ce qu'est la philosophie. [B.R.]

Bertrand Russell, ce mathématicien, logicien et philosophe, l'un des grands du XXe siècle, nous offre ici trois courts textes qui résument dans un langage simple et abordable quelques idées sur le métier de philosophe et les outils qu'il faut détenir pour l'accomplir. C'est au début des années 1940 qu'il s'adresse ainsi à des étudiants, apprentis philosophes. Le premier essai pose les bases de ce qui est nécessaire pour s'initier à la pensée critique, l'art de la conjecture rationnelle. Cela passe notamment par l'histoire des sciences et la distinction entre savoir et croyance. Le deuxième texte porte sur la logique et l'art de l'inférence. Enfin, le dernier, l'art du calcul, porte sur l'outil mathématique. J'ai aimé y trouver des illustrations et des analogies que j'avais autrefois utilisées dans mon enseignement des mathématiques. 

L'art de philosopher veut faire saisir l'esprit de la démarche philosophique à tout un chacun. Même si l'âge du texte transparait plus d'une fois, on doit convenir que la proposition est une réussite.  

Celui qui veut devenir philosophe trouvera profit à s’intéresser à l’histoire de la science, et tout particulièrement à la lutte qui l’a opposée à la théologie. [B.R.]

Sommes-nous en mesure de connaître quoi que ce soit de ce qu’est le monde, par opposition à ce qu’il semble être ? Voilà ce que le philosophe veut savoir, et c’est dans ce but qu’il lui faut faire un aussi long apprentissage de l’impartialité.  [B.R.]

Cependant, si les mathématiques étaient bien enseignées, il y aurait bien moins de gens pour les détester qu’il n’y en a actuellement.  [B.R.]

C’est dire que les mathématiques fournissent les meilleures hypothèses de travail pour comprendre le monde. [B.R.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Russell

Bertrand

Le monde qui pourrait être 

30/12/2014

dimanche 9 octobre 2022

Oulipo : L'abécédaire provisoirement définitif - Oulipo

Un Larousse de l'Oulipo, un dictionnaire de l'Ouvroir de littérature potentielle, mais pourquoi donc ? 

Mais, pour se rassasier des contraintes imaginées par ses membres. Pour contempler des exemples de jeux d'écriture. Pour gouter aux joies que procure l'évasion en mots des labyrinthes que les oulipiens ont eux-mêmes construits. Pour lire des textes inventifs, ingénieux, astucieux et souvent fantaisistes. Pour s'imaginer en train d'écrire. Pour apprécier cette improbable interface entre mathématiques et littérature. Pour lire et relire des extraits des œuvres de Perec. Pour découvrir d'autres oulipiens et leurs écrits. Pour se coltailler à de nouvelles contraintes. Pour estimer la complexité du geste d'écrire en respectant des règles imposées. Pour mesurer l'exceptionnelle potentialité créative de la contrainte. Pour s'amuser avec les mots. Pour ne point bouder son plaisir. Pour rire et se casser la tête. Voilà pourquoi, entre autres, un Larousse de l'Oulipo, un Abécédaire même provisoirement définitif s'imposait tout autant que sa lecture.

mercredi 14 septembre 2022

L'Étoffe du diable : Une histoire des rayures et des tissus rayés - Michel Pastoureau

« Cet été, osez le chic des rayures. » Dans ce slogan quelque peu tapageur, qu’une campagne publicitaire a largement répandu il y a plusieurs mois sur les murs du métro parisien, tous les mots sont importants.  [M.P.]

Pastoureau est un médiéviste français dont l'œuvre s'intéresse particulièrement aux couleurs, aux symboles, à l'héraldique et aux emblèmes présents au Moyen Âge. Depuis longtemps, j'étais tenté par ses ouvrages. C'est par ce bref essai que je m'ouvre à son univers. J'étais curieux de découvrir cette plongée dans la symbolique médiévale des tissus rayés et l'évolution de leur perception au cours de l'histoire. Je n'aurai pas été déçu même si, plus d'une fois, l'analyse repose sur une lecture hypothétique dont l'interprétation pourrait être contestée. Il faut, je crois, accepter le risque d'une possible dérive dans la thèse avancée à moins de n'en proposer aucune et de se dire incapable de se faire une représentation du cadre emblématique du passé. Je préfère apprécier les conjectures de l'auteur qu'elles soient savantes ou même ludiques et me laisser guider par ses soins de la rayure infamante des exclus à celle hygiénique des pyjamas en passant par sa déclinaison marine, celle qui s'inscrit dans les sports, ainsi que toutes les transgressions qu'elle peut receler.

Nombreux sont dans l’Occident médiéval les individus – réels ou imaginaires – que la société, la littérature ou l’iconographie dotent de vêtements rayés. Ce sont tous, à un titre ou à un autre, des exclus ou des réprouvés, depuis le juif et l’hérétique jusqu’au bouffon ou au jongleur, en passant non seulement par le lépreux, le bourreau ou la prostituée, mais aussi par le chevalier félon des romans de la Table ronde, par l’insensé du livre des Psaumes ou par le personnage de Judas. Tous dérangent ou pervertissent l’ordre établi ; tous ont plus ou moins à voir avec le Diable. [M.P.]
« Peigner la girafe », n'est-ce pas mettre en ordre ses taches, tenter d'en faire un zèbre ? [M.P.]

mercredi 7 septembre 2022

Le hors-sujet, Proust et la digression - Pierre Bayard

Proust est trop long. [P.B.]

C'est par cette phrase volontairement tranchante que Pierre Bayard ouvre sa discussion sur le hors-sujet et la digression. Il prend l'œuvre de Proust, en particulier À la Recherche du temps perdu [la Recherche], comme étalon, pour y repérer les digressions volontaires ou non, annoncées ou non, prévisibles ou non, disruptives ou non, et en discuter la pertinence, la nécessité, l'inexorabilité. Si, par certains aspects, cet essai apparaît d'un sérieux théorique plus soutenu, il avance aussi sur un terrain hors-norme et plus divertissant en se donnant le mandat de réduire Proust, d'y retirer toutes les digressions pour n'en conserver que la substantifique moelle. Bayard cite, à cet égard, Gérard Genette qui faisait de la Recherche un résumé radical : Marcel devient écrivain

C'est donc un essai provocateur que Bayard nous propose, un essai comportant sa part de digressions, sa part de défi, sa part de jeu et peut-être, selon moi, une part trop importante de lecture psychanalytique. Mais, l'un dans l'autre, comme on dit, je me suis régalé dans les pages de cet essai et j'ai aimé y retrouver une référence à Laurence Sterne qui, avec La vie et les opinions de Tristram Shandy, nous offre un roman essentiellement constitué de digressions, de parenthèses et d'écarts.

Tout essai sur la digression a, notons-le, vocation encyclopédique. [P.B.]

Aussi la tentation est-elle grande, pour l'essayiste, d'insérer dans son texte les développements qu'il n'est pas parvenu à placer ailleurs. Nous nous sommes efforcé de ne pas abuser de cette situation, même si nous avons été conduit à avancer quelques réflexions sur La Princesse de Clèves, l’épistémologie de Karl Popper et l’histoire des guerres napoléoniennes : tous sujets qui, ne semblant pas s’imposer dans un essai sur la digression chez Proust avec une absolue nécessité, y trouvent, de ce fait, leur place naturelle.  [P.B.]

[...] une digression utile, voire nécessaire, demeure-t-elle une digression ? [P.B.] 

Ce qui est en jeu ici est ce que l’on appelle en théorie littéraire l’intertextualité. Tout texte entretient avec un certain nombre de textes précédents de la littérature des liens d’influence, volontaires ou involontaires. [P.B.]

Non seulement tout texte emprunte à d’autres et se situe dans un rapport objectif, en soi, avec d’autres textes de la littérature, mais il emprunte, pour le lecteur, à d’autres textes qui ont marqué celui-ci et se trouvent de ce fait, subjectivement parlant, dans une relation de dépendance avec lui. [P.B.]

La comparaison entre Proust et des auteurs « digressionnistes » comme Diderot ou Sterne est instructive. [P.B.] 

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Bayard

Pierre

Comment parler des faits qui ne se sont pas produits

09/05/2021

Bayard

Pierre

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05/02/2020

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Pierre

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13/06/2009

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Et si les œuvres changeaient d’auteur?

07/10/2019

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Il existe d’autres mondes

20/07/2017

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Le plagiat par anticipation

08/11/2023

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Le titanic fera naufrage

26/09/2020