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mercredi 3 janvier 2024

La danseuse - Patrick Modiano

Brune ? Non. Plutôt châtain foncé avec des yeux noirs. [P.M.]

Non! Je ne crois pas que je puisse épuiser le plaisir que j'ai à lire du Modiano. Certains ont présenté La danseuse comme un condensé de son œuvre. Ce court récit est narré par un jeune alter ego de l'auteur qui, à 20 ans, est lui aussi un auteur en devenir. Il termine alors un premier roman et écrit des textes de chansons. Mais, ce n'est que plusieurs années plus tard qu'il se remémore ces moments, car, au détour d'un feu rouge, il croit voir sur le trottoir qui lui fait face un être issu d'un passé lointain, un passé où le jeune auteur s'occupait de Pierre, l'enfant d'une danseuse qui répétait des chorégraphies de ballets au studio Wacker. On retrouve tout le mystère des romans de Modiano, le jeu de miroir des mémoires incomplètes, la ville qui, avec ses ruelles et ses avenues aux noms oubliés, joue un rôle de soutien essentiel, les personnages fuyants à l'existence fantomatique et le retour en arrière suivant un fil ténu, une adresse, une couleur, un meuble déplacé ou un passant que le narrateur croit reconnaître. 

D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? [P.M.]
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26/04/2021

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Un pedigree

01/09/2021



mardi 26 décembre 2023

Échecs - Stefan Zweig

Sur le grand paquebot qui, à minuit, devait quitter New York pour Buenos Aires régnait l’animation habituelle des dernières heures. [S.Z.]
Magnifiquement traduite par Jean-Philippe Toussaint, cette nouvelle version du court roman de Zweig nommé aussi Le joueur d'échecs est un régal. On accompagne le narrateur dans ce huis clos un peu particulier que constitue un navire de croisière, mais surtout, on le suit dans son désir d'en savoir plus sur un grand maître d'échecs qui se trouve à bord, un grand maître bourru qui ne se laisse pas approcher, à moins que ce ne soit dans le silence devant les soixante-quatre cases d’un échiquier, et encore. Et puis, au hasard d'une partie où un ensemble hétéroclite de joueurs affronte collectivement le champion, l'attention va se tourner vers un inconnu qui se mêle de la partie, un inconnu qui, on le saura, a connu aussi sa part de huis clos.

Il y aurait un souffle autobiographique dans cette œuvre qui sera la dernière écrite par Zweig et ne sera publiée qu'à titre posthume. Zweig, en exil, vivait en effet en solitaire et rejouait systématiquement des parties d'échecs de grands maîtres, tel l'énigmatique docteur B.
En somme, aux échecs, vouloir jouer contre soi-même, c’est aussi paradoxal que de vouloir sauter par-dessus sa propre ombre. [S.Z.]

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07/02/2021


vendredi 8 décembre 2023

Désir pour désir - Mathias Énard

Le vernis, l'acide nitrique et l'essence du térébinthe : Amerigo sut qu'il se trouvait bien dans un atelier de gravure - il reconnut les effluves de cuivre mordu, de laque ; puis de papier mouillé, d'encre, de colle de poisson, de sève de mastic et de gnôle de raisin. [M.É.]

Mathias Énard, avec toute sa verve littéraire, nous transporte, par cette nouvelle, dans la Venise du XVIIIe siècle au moment du carnaval. Il y explore et nous entraîne avec lui dans un univers de passion, de flamme, de cœur, d'amour et d'art. D'une écriture raffinée, ce court texte nous permet de longer le Grand Canal et ses canaux affluents, de prendre le pouls de lieux secrets dans un clair-obscur qui stimule l'imagination, de croiser des masques, d'assister à des échanges autour d'une table de jeu dans un casin privé, d'écouter la musique et les chants des filles de chœur de l'Ospedale della Pietà, de vivre une histoire vénitienne.

Venise est une magnifique sorcière, un doux poison, une flûte mortelle, la patrie des mensonges et du commerce, des raisins de Corfou, des soieries, du marché du Rialto, des bateaux qu'on voit décharger sur la Riva, des palais et des richesses, des épices, des soldats, des territoires lointains, des intrigues, des pleurs; Venise du théâtre, de la peinture, de la musique et du danger, des masques et des capes; Venise des condotierri et de la douane. Venise érotique et religieuse, ouverte et fermée, secrète et puissante, maîtresse des mers, des galères et des caravelles; Venise de Raguse à Constantinople; Venise de la bauta, du Bucentaure et de la grâce.  [M.É.]

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vendredi 24 novembre 2023

Le club des tueurs de lettres - Sigismund Krzyzanowski

— Des bulles au-dessus d’un noyé.
— Pardon ?
En un glissando rapide, l’ongle triangulaire parcourut les reliures renflées qui nous toisaient du haut des rayonnages. [S.K.]

Sigismund Krzyzanowski est un auteur dont il est agréable de découvrir l'œuvre. On a l'impression de participer à une exploration. Encore ici, hors du temps, on pénètre dans l'antre d'une mystérieuse secte, ce club des tueurs de lettres qui réunit dans un jardin des idées des auteurs qui ont renoncé à l'écriture, mais pas à la création d'histoires et de récits. Chaque semaine l'un des leurs récite qui une pièce de théâtre, qui un conte, qui un chapitre d'un roman qui ne sera pas écrit, qui demeurera une idée émise dans un endroit clos un certain samedi. Le cadre et les contes témoignent de l'univers fascinant de cet auteur russe des années vingt, période fertile qui a aussi livré le roman Nous d'Evguéni Zamiatine duquel certains des récits des participants du Club des tueurs de lettres peuvent se rapprocher.

Au fond, les écrivains sont des dresseurs de mots professionnels, et les mots qui font les funmabules sur les lignes, s'ils étaient des êtres vivants, redouteraient et haïraient à coup sûr le bec fendu de la plume comme les animaux savants haïssent le fouet qui les menace. [S.K]

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Le marque-page

25/08/2023


dimanche 19 novembre 2023

Paris, mille vies - Laurent Gaudé

Je ne sais pas depuis combien de temps cette nuit m’attendait. [L.G.]

C'est le premier écrit de Laurent Gaudé que je me permets de lire. J'ai plongé dans ces pages sans attente particulière et j'ai été charmé. J'ai suivi comme le narrateur à sa sortie de la gare Montparnasse cette ombre qui nous faisait parcourir, hors du temps, les lieux et les moments d'un Paris nocturne et plein de mystères. J'ai marché dans les pas de Villon et de ses comparses, et au tournant d'une ruelle, ce sont les communards qui surgissaient dans les pages de cette déambulation fantasmagorique, pour ensuite voir Victor Hugo à la tête d'un cortège vers le cimetière où sera inhumé son fils Charles. Laurent Gaudé a aménagé des passerelles temporelles au cœur de l'histoire de Paris et il nous mène, sous le couvert d'une ombre furtive, dans quelques venelles où l'Histoire a pu laisser quelques marques, quelques vestiges renaissants. Voilà donc une errance poétique dans une ville qui tente de se souvenir et qui exhale des moments de mémoire lors d'une nuit hallucinée. Convaincu, je l'ai été.

“Frères humains qui après nous vivez…” Pourquoi est-ce que je pense à lui ? Est-ce parce que j’en suis un, cinq siècles plus tard, de ces frères humains qui après lui vit, qui après lui arpente ces mêmes rues ? Ou simplement parce que je connais ses mots et que cela crée un lien entre nous ? Comme il est doux de l’entendre, de pouvoir prononcer ses vers. [L.G.]

Où nous mène cette nuit ? À l’épuisement de tout ? Les ombres du passé ont pris possession des rues. [L.G.]

Alors cette ville est mienne, oui, parce qu’elle m’a été donnée. Et tout ce qui bruisse en elle, la clameur du passé, le fracas, les révoltes, les foules pressées, le pas hésitant des poètes, les solitudes côte à côte et les grands espoirs de foules, sont miens. Je prends tout. Je retrouve Paris. [L.G.]

lundi 13 novembre 2023

1508. La traversée du vide - Étienne Beaulieu

C'est un livre un peu fou que tu tiens entre tes mains, qui sont peut-être douces ou calleuses, je ne sais pas. Il raconte l'histoire incertaine de maître Thomas Aubert, dont l'existence de brume et d'histoire se perd dans la mémoire. [É.B.]

1508. La traversée du vide aurait pu être un essai construit autour du mince fil que représentait ce que l'on sait d'un certain navigateur dieppois nommé Thomas Aubert, un navigateur qui aurait en 1508, 25 ans avant Cartier, exploré les rives de Terre-Neuve et le golfe du Saint-Laurent et même, semble-t-il, ramené à Dieppe sept autochtones. Cela aurait pu être un essai mais la trame historique présentait des faiblesses importantes et l'auteur nous rappelle moulte fois le caractère nébuleux, flou, presque anonyme et sans visage de ce maître ès inexistence qu'est le capitaine de La Pensée, Thomas Aubert. On a donc plutôt droit à une fiction historique qu'on pourrait apparenter à de la littérature fantastique ou même lyrique avec un auteur qui intervient auprès du lecteur pour le prendre à témoin. Je dois avouer que, plus d'une fois, j'ai été dérouté. Entre l'enquête à Dieppe, les fresques oubliées, les cartes apocryphes et les personnages n'ayant laissé que peu ou prou de traces réelles sinon dans l'imaginaire historique, je me suis un peu perdu dans ce dédale. Et, finalement, je conçois qu'on puisse aborder cet ouvrage tel un exercice de poésie lyrique sur un thème se situant quelque part dans un creux de l'histoire. Je n'étais peut-être pas préparé à recevoir ce type de texte et si les envolées littéraires m'ont parfois distrait, j'ai tout de même tirer de cette lecture un certain plaisir à prendre connaissance de ce volet obscur du passé, ce récit transmarin qui émane de la brume s'amassant à l'ouverture du golfe du Saint-Laurent.

Un grand merci à Babelio et aux Éditions Varia du Groupe Nota Bene pour l'envoi de ce texte dans le cadre d'une opération "Masse Critique 100 % québécoise".

mercredi 1 novembre 2023

L'allègement des vernis - Paul Saint Bris

Il a réduit la peinture à sa stricte matière, à sa quintessence, à ses deux dimensions : un mince film coloré aussi fragile que l’aile d’un papillon, un agglutinat de pigments et de liants fin comme une peau humaine, si fin qu’il a pu admirer le dessin au travers. [P.S.B.] 

C'est à un parcours teinté de satire et de mystère dans le monde peu connu de la restauration d'art et de la muséologie que nous convie Paul Saint Bris et son roman L'allègement des vernis. La nomination au Louvre d'une nouvelle présidente qui n'était pas issue de l'univers scientifique ni muséal provoque une petite révolution dans l'approche de la marque pour la rendre décomplexée. Après quelques semaines d'observation et de consultation, on assiste à l'hallucinante présentation d'une firme de consultants ayant réalisé un audit sur la fréquentation du musée. À force de chiffres, d'abréviations énigmatiques et d'anglicismes du jargon marketing, sont avancées de surprenantes propositions ayant pour objet de faire croître le nombre annuel d'entrées tout en favorisant une expérience client optimale. La plus osée de ces pistes n'est rien de moins qu'une restauration de La Joconde. Aurélien est conservateur et directeur du département des Peintures, il voit tout le risque qu'une telle restauration peut présenter, mais la décision est prise et il est prévu d'effectuer sur le chef-d'œuvre un allègement des vernis devant en révéler les couleurs originales et ainsi créer un événement planétaire. Depuis la recherche d'un restaurateur à la hauteur, l'analyse des techniques à utiliser et le déroulement de la sensible opération, on sera amené à effectuer une exceptionnelle plongée dans la sphère de la restauration et de la conservation des œuvres d'art tout en portant une réflexion assumée sur la beauté. Voilà un superbe premier roman.

Il pensa qu’une des exigences de sa pratique était de rendre intelligibles des propos compliqués [...] [P.S.B.] 

dimanche 22 octobre 2023

Perspective(s) - Laurent Binet

S'il savait que je vous écris, mon père me tuerait. [L.B.]
Un tour de force que ce roman épistolaire inscrit dans un temps qui n'est plus le nôtre depuis déjà plusieurs siècles! Amateur d'histoire, Laurent Binet nous a habitués à quelques uchronies de bonne tenue. Ici, il plonge dans la dernière partie de la Renaissance italienne. Il a choisi de nous faire découvrir un ensemble d'échanges entre une vingtaine de personnages plus ou moins connus de l'époque, échanges qui se font par lettres miraculeusement émergées du passé, rassemblées et traduites pour notre plus grand bonheur. Ces discussions par billets interposés portent sur les événements du moment, notamment la mort suspecte du peintre Jacopo da Pontormo qui, à la demande des Médicis de Florence, travaillait à la décoration de l'abside de l'église de San Lorenzo. C'est à la lecture des missives qu'on voit poindre l'enquête sur ce meurtre et les indices qui pourraient nous mener vers la conclusion. Mais, au-delà de ce volet policier, on décèle dans ce commerce épistolaire, d'autres préoccupations de l'époque : les influences encore présentes des prêches de Savonarole sur la nécessaire pudeur dans l'art pictural, les mouvements des artisans pour de meilleures conditions, les tractations politiques du duché de Florence, les amours interdites de la fille du duc ou le prestige de Michel-Ange à l'intérieur de la colonie artistique et au-delà. On pourrait s'exprimer sur le fait que les quelque 170 messages expédiés et récupérés par le mystérieux archiviste sont tous d'une teneur stylistique similaire, qu'ils proviennent du duc, d'un page, d'un broyeur de couleurs ou d'une princesse. Je crois que, tel que cela se produit au théâtre, cela relève d'un accord tacite entre le lecteur et l'auteur, une convention qu'on est bien aise d'accepter. Par ce roman et les multiples lettres qui le composent, bien que ce soit par l'entremise d'un événement de type policier et tout à fait imaginaire, on ouvre une porte sur l'univers artistique de la Renaissance italienne du Cinquecento et on en est ravi.

La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l'infini. Spectacle terrible. [L.B.]

La satire n'est-elle pas l'arme des faibles pour ridiculiser les grands? [L.B.] 

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mercredi 6 septembre 2023

La nageuse au milieu du lac - Patrick Nicol

J’aime cette femme qui court, affolée comme les poules sans tête de son enfance; j’aime ses parents, estropiés par l’usine ou les instruments du sol; j’aime sa famille assise autour de la table, emplissant les bancs jusqu’à déborder, jusqu’à couler entre les lattes du plancher.

De Patrick Nicol, je n’ai lu que récemment J‘étais juste à côté. J’ai été happé par son écriture et me suis bien promis de replonger dans l’un ou l’autre de ses écrits. Le hasard m’a fait croiser La nageuse au milieu du lac au détour d’une librairie de livres usagés. La décision fut rapidement prise et me voilà, de nouveau, en contact avec la plume de Nicol et je suis le parcours surprenant de sa pensée entre l’empathie et la critique sociale, entre l’expérience actuelle et la mémoire ranimée. La forme peut dérouter dans un premier temps, mais on accepte rapidement que La nageuse au milieu du lac se situe quelque part entre le roman et le recueil de textes, un magnifique collage où le fil rouge est constitué du rapport qu’entretient le narrateur, un enseignant de cégep, avec sa mère, qui, âgée de 80 ans, souffre de démence. Entre mémoire et souvenirs, entre enfance oubliée et vieillesse obligée, Patrick Nicol libère des moments de tendresse et nous offre ainsi un admirable ouvrage.

Dans un silence de Satie, on ne sait jamais quand la prochaine note tombera, ni laquelle ce sera. Malgré tous nos savoirs, et peut-être un peu à cause d’eux, nous l’attendons là où elle n’arrivera pas. Nous pensons compléter en esprit les phrases musicales, mais nous nous trompons. La note attendue arrive toujours à côté, plus haut, plus bas, en retard ou en avance. On dirait que l’artiste se moque de nous; je préfère croire qu’il nous taquine, et que ce jeu n’est possible, justement, que parce que l’auditeur a une certaine expérience de la musique.

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27/02/2023


 

mercredi 16 août 2023

Marcher droit, tourner en rond - Emmanuel Venet

Je ne comprendrai jamais pourquoi, lors des cérémonies de funérailles, on essaie de nous faire croire qu’il y a une vie après la mort et que le défunt n’avait, de son vivant, que des qualités. [E.V.]

Emmanuel Venet est psychiatre et romancier et sans que cela insère de la lourdeur dans ses écrits, on sent bien que les deux volets de son être collaborent constamment. Le narrateur de Marcher droit, tourner en rond présenterait des symptômes de la stéréotypie idéocomportementale fréquemment en lien avec le syndrome d'Asperger, mais surtout il présente un rapport à la vérité qui n'est que d'un bloc et sans compromis. Autant dire qu'il a du mal avec la société en général et que l'exaspération est souvent présente, notamment dans cette cérémonie de funérailles pour sa grand-mère Marguerite. Les réflexions du narrateur au moment de cette cérémonie constituent l'amorce du texte ainsi que l'essentiel. Sa révolte s'exprime devant l'incohérence du monde, devant les choix discordants, devant les contradictions les plus évidentes des êtres qu'il côtoie, les membres de sa famille. Un texte fort, plein de décalages, de dénonciations, d'humour et d'ironie.

Cependant il me semble qu’il serait plus sain de préférer la vérité au mensonge, et que l’humanité devrait plutôt s’attacher à dessiller les crédules et à punir les profiteurs qui entretiennent le climat de duplicité et de tromperie dans lequel, pour notre plus grand malheur, notre espèce baigne depuis la nuit des temps. [E.V.]

Autour de moi, chacun vit comme si les choses sérieuses se cantonnaient aux signes extérieurs de richesse, à l’incessant échange d’opinions rebattues et à l’ostentation de plaisirs ignorant tout des sentiments. On parle garde-robe, cac40, taux de triglycérides, Vatican II, tarifs du vétérinaire, produits touristiques équitables ou nouvelles techniques de fitness, mais on évite soigneusement d’évoquer le besoin d’aimer, le bonheur de s’abandonner l’un à l’autre, l’exaltation que procure la vie à deux ou l’impeccable rationalité du crime passionnel assumé, tel que le journal en rapporte chaque semaine au moins un exemple. [E.V.] 

lundi 7 août 2023

La diagonale Alekhine - Arthur Larrue

À cette époque, le champion du monde d'échecs s'appelait Alexandre Alexandrovitch Alekhine et il avait la coquetterie de ne pas vouloir porter de lunettes en dehors du jeu. [A.L.]

Je ne connaissais ni Alekhine ni Larrue, mais l'idée de ce roman tournant autour de la vie d'un champion d'échecs russe naturalisé français qui aura maintenu son titre avant et après la Seconde Guerre mondiale, qui aura été le premier champion du monde à reconquérir son titre et le seul à mourir alors qu'il le détenait, m'intriguait. J'ai trouvé là une intéressante histoire qui s'entretissait allègrement avec les chambardements du monde, avec l'absurdité de la guerre et les déclarations contradictoires qu'elle suscite. L'écriture est fluide, bien que le style et le registre employés par l'auteur semblent varier de chapitre en chapitre, ce qui m'a parfois déstabilisé. Dans l'ensemble, toutefois, j'aurai eu du plaisir à lire ce roman inspiré de ce personnage sombre et ambigu qu'aura été Alexandre Alexandrovitch Alekhine.

Alekhine ne semblait admettre aucune différence entre les guerres napoléoniennes qui avaient redessiné l'Europe et ses combats sur l'échiquier. Quand Alekhine parlait, Lupi avait l'impression que le jeu comptait autant que l'histoire réelle. L'influence dont Alekhine se sentait doté dépassait l'échiquier et le seul enjeu des tournois. Elle agissait directement sur le monde et sur les hommes. Par l'effet d'une sorte de confusion ancrée dans son esprit, les échecs n'étaient plus la métaphore d'une bataille, mais la bataille elle-même. [A.L.]

Staline tenait à jour des listes d'hommes à abattre, dressait des listes de bourreaux pour les abattre, puis des listes de bourreaux pour abattre les bourreaux, et ainsi de suite... [A.L.]

lundi 31 juillet 2023

La salle de bain - Jean-Philippe Toussaint

Lorsque j’ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m’y installer ; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu. [J.-P.T.]

Comme avec Fuir que j'avais récemment lu, l'auteur nous déstabilise. On entre dans ce roman avec l'impression qu'il nous manque une clé, puis c'est ce manque qui prend toute la place. On l'apprivoise, on apprécie le décalage. Et puis, on y trouve un humour retenu, de l'absurde fellinien, un quotidien déjanté, une philosophie du temps qui passe. Un jeune homme est allongé depuis quelques moments dans sa salle de bain alors que des peintres polonais effectuent des travaux dans l'appartement que le protagoniste partage avec sa compagne, galeriste. À l'aide de touches minimalistes, l'auteur, dans la peau du narrateur, décrit comme un spectateur de sa propre vie les aléas d'un ensemble de faits divers qui basculent dans une fuite inexpliquée vers Venise et des rencontres incongrues. Tout cela est écrit avec toute la fluidité de la plume de Jean-Philippe Toussaint qui nous entraîne ainsi dans d'agréables moments de lecture.

Des débats ont été engagés, dirait l’ambassadeur, des suggestions émises, des conclusions tirées et des programmes adoptés. Ces projets, qui ont été élaborés dans le sens de l’harmonisation des textes, visent, à travers une définition précise des études préalables, à renforcer la mise en œuvre des dispositions établies lors de la précédente réunion. Les mêmes dispositions tendent, du reste, à inspirer aux participants une programmation plus rigoureuse de leurs activités d’étude pour une meilleure maîtrise des projets, de manière à mettre en œuvre les modalités d’une amélioration de l’efficacité pratique des capacités. [J.-P.T.]

L’ancien locataire, homme distingué, regardant la bouteille, estima que c’était du très bon vin, mais nous confessa avec un rire prudent qu’il n’aimait pas le bordeaux, préférant le bourgogne. Je répondis que moi, je n’aimais pas tellement la façon dont il était habillé. Son sourire fut gêné, il rougit. Il y eut un certain froid du reste, la conversation ne reprit pas tout de suite. [J.-P.T.]

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14/05/2023


 

mercredi 28 juin 2023

Le monde se repliera sur toi - Jean-Simon DesRochers

Cette phrase, qu'est-ce que je disais ? Fixant la moulure du plafond, Noémie cherche les mots qu'elle vient à peine de prononcer dans un rêve. [J.-S.D.]

La théorie des Six degrés de séparation émise en 1929 se voit régulièrement réformée par l'omniprésence des réseaux sociaux. Selon certains, on en serait à un peu moins de cinq. Jean-Simon Desrochers, l'auteur, notamment, de La canicule des pauvres qui se trouve dans ma pile de livres à lire, joue de ce principe pour nous offrir un roman qu'on pourrait dire « à relais ». Chaque chapitre constitue une parcelle du monde, un regard oblique sur la société, un interstice dans le théâtre de l'humain. Puis, un personnage de cette minuscule tragicomédie en est extrait pour devenir le cœur du chapitre suivant. Et le même procédé est répété de chapitre en chapitre, de ville en ville. C'est en cela que le monde se replie sur le lecteur. Avec quelque trois tours du monde, les minuscules récits concoctés par Desrochers participent à une magnifique polyphonie qui fait intervenir près de cinquante personnages s'entrecroisant, certains plus d'une fois. La scène globale que nous dépeint Desrochers est faite de solitudes, de dépossession, de terrorisme, de bonheurs cachés, d'écologisme militant, d'espoirs menacés. Et puis, on en conclut, après ce tour de force, que le monde est bien petit.

De Paris à Zhèngzhôu, l'illusion de proximité se gère à coups de fils de cuivre, de fibre optique et de serveurs informatiques, réalité que Feng a peine à se figurer autrement qu'en appuyant sur les icônes d'un écran; grâce à une magie sans mystère, son image peut se retrouver presque n'importe où. [J.-S.D.]

 

dimanche 18 juin 2023

Nous - Evgueni Zamiatine

Je ne fais ici que recopier - mot pour mot - ce que publie aujourd'hui le Journal officiel : Dans cent vingt jours, la construction de l'Intégrale sera achevée. [E.Z.]

J'étais curieux de découvrir ce roman dystopique publié en 1920. C'est en quelque sorte l'ancêtre des romans Le meilleur des mondes, 1984 ou Un bonheur insoutenable. On a accès au journal du personnage principal, D-503. Cet ingénieur et mathématicien travaille à la fabrication de L'Intégral qui sera un vaisseau spatial dont l'objectif sera un prosélytisme actif auprès des civilisations extra-terrestres pour leur faire connaître le bonheur ultime que l'État unitaire offre à ses adeptes. Mais, des rencontres fortuites placent sur le chemin de D-503 des pistes vers d'autres pensées, des sentiments inavouables pour les mondes anciens, le réveil de l'âme et un regard vers la liberté. 

Bien qu'intéressante du point de vue de l'histoire littéraire des contre-utopies, cette lecture m'a laissé un peu insatisfait. On voit l'évolution de la pensée de D-503, de la défense du monde dans lequel il vit jusqu'aux questionnements les plus aigus de cette réalité, mais la langue qu'il utilise, cette façon de donner un vernis mathématique à tous les arguments m'apparaissait trop simpliste, trop formatée et cela me faisait parfois décrocher. Il faut reconnaître toutefois qu'écrire un tel roman en 1920 dans le contexte de l'Union soviétique naissante est formidablement contestataire. 

Vous êtes destinés à soumettre au joug bienfaisant de la raison des êtres inconnus qui habitent d'autres planètes et sont peut-être encore en état de liberté primitive. S'ils refusent de comprendre que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact, notre devoir sera de les obliger à être heureux. [E.Z.]

L'homme a quitté l'état de bête sauvage quand il a construit le premier mur. Il a cessé d'être un homme sauvage quand nous avons construit la Muraille verte, lorsque, grâce à elle, nous avons isolé notre monde mécanisé et parfait du monde irrationnel, informe, des arbres, des oiseaux, des animaux... [E.Z.] 

Les mathématiques - dans ma vie déboussolée le seul îlot de solidité inébranlable - ont, elles aussi, largué les amarres, sont parties à la dérive en tourbillonnant. [E.Z.] 

 

mercredi 7 juin 2023

Les dieux ont soif - Anatole France

Évariste Gamelin, peintre, élève de David, membre de la section du Pont-Neuf, précédemment section Henri IV, s'était rendu de bon matin à l'ancienne église des Barnabites, qui depuis trois ans, depuis le 21 mai 1790, servait de siège à l'assemblée générale de la section. [A.F.]
La période postrévolutionnaire qu'a été La Terreur ne m'était pas bien connue. Je connaissais le rôle qu'y avait joué Maximilien Robespierre, mais je ne savais rien de la dérive qui avait mené là. Bien sûr, c'est un roman, bien sûr, plusieurs des personnes qui interviennent dans ce roman demeurent des personnages fictifs, mais je crois bien qu'Anatole France a su décrire de façon particulièrement juste l'atmosphère qui a pu régner dans les ans II et III de la jeune République française. En retraçant l'évolution du jeune peintre et citoyen patriote Évariste Gamelin, autant dans son quotidien et ses amours naissantes que dans ses convictions et ses positions politiques en regard de la république, c'est toute une société qui se cherche dont Anatole France a voulu brosser le tableau. On verra la foule parisienne s'émouvoir à la mort de Marat, la place de plus en plus grande qu'occupera le tribunal révolutionnaire, l'engagement comme juré du jusqu'au-boutiste Évariste Gamelin, sa dérive, transporté par la force des événements, de convaincu qu'il était à bourreau de ses proches. On constate le déraillement des meilleurs sentiments vers des actes d'atrocité portés par la guillotine. Voici donc un magnifique roman historique dont la lecture, à toute époque, amène son lot de résonance avec l'actualité et ne manque pas de provoquer des réflexions sur le monde.
La Révolution avait dans toutes les maisons renversé la marmite. Le commun des citoyens n'avait rien à se mettre sous la dent. [A.F.]

dimanche 4 juin 2023

Ma vie d'espion - Thierry Horguelin

En ce temps-là, j'aimais vivre ma vie comme un roman d'espionnage. [T.H.]

Quelque part entre la nouvelle et le roman se situe la novella. Ici, on aurait une délicieuse novella qui se déroule dans le monde de l'art contemporain et qui se prend pour un polar ou un roman d'espionnage.  On se laisse rapidement prendre par ce jeu qu'instaure le personnage principal qui consiste à s'imaginer comme acteur d'une intrigue impliquant filatures et services secrets. Puis, les aléas du quotidien du photographe d'art viennent, au détour d'expositions hors norme, attester le jeu de rôle qu'il s'imposait. Dans des cadres totalement inusités ont lieu des manifestations artistiques relevant du domaine de l'installation, manifestations sous la gouverne d'une mystérieuse galeriste aussi éphémère dans sa présence que les œuvres qu'elle promeut sans pourtant en autoriser la photographie.

On se laisse agréablement mener par une écriture allègre faite de phrases courtes comme pourrait l'imposer l'intention de style. Voilà donc une joyeuse lecture qui me laisse découvrir un auteur dont je ne connaissais pas la plume.

Manzoni [...] pratiquait une forme de radicalité. Elle travaillait avec peu de moyens et sans souci de se faire une place sur le marché de l'art. [...] elle professait une théorie de l'effacement. Visites sur invitation seulement. Pas de catalogues. Pas de site web. Pas de page Facebook. Jamais de photos des expos, défendu, verboten. Une exposition ne devait pas laisser d'autre trace que le souvenir d'une expérience dans la mémoire de ses visiteurs. [T.H.]

samedi 27 mai 2023

Les crépuscules de la Yellowstone - Louis Hamelin

Ce livre raconte la remontée d’un fleuve. [L.H.]

Que voilà un parcours intéressant, le périple de John James (Jean-Jacques) Audubon, l'auteur des magnifiques planches des Oiseaux d'Amérique, sur le Missouri et le Yellowstone, en territoire indien, en dessinant tout du long des espèces sauvages. Audubon, vieillissant, s'aventure en 1843, dans cette contrée mythique, accompagné du trappeur Étienne Provost dans l'espoir de garnir ses cahiers de dessins de quadrupèdes particuliers et d'oiseaux remarquables. Cela se fait dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles. S'ils traversent des territoires indiens peu explorés, Audubon, son équipe, Provost et les chasseurs métis qui les accompagnent sont à l'affut des troupeaux de bisons. Les règles respectées dans une expédition naturaliste de l'époque sont à des années-lumière de celles d'aujourd'hui. Le contexte est plutôt celui d'un prédateur en chasse, ce qui anticipe le massacre qui suivra. Beau paradoxe. Mais, cela est magnifiquement raconté par un auteur qui, lui-même ornithologue, manifeste du respect devant le chant d'un oiseau et les lithographies réalisées par Audubon. 

D'ailleurs, on accompagne également le narrateur dans sa démarche, ses souvenirs et sa visite des mêmes terres maintenant parsemées de puits de pétrole, la destruction se poursuit. Les crépuscules de la Yellowstone est un roman à nul autre pareil. L'auteur le qualifie de western écologique, c'est aussi un regard sur l'histoire du fait français en Amérique.

Je feuillette lentement les reproductions des lithographies originales, avec le mélange de studieux respect et de dévotion admirative qui convient à la lecture d’un livre sacré. Ces oiseaux qu’il massacrait pour mieux les peindre, personne, avant lui, ne les avait rendus aussi vivants. [L.H.]

mercredi 17 mai 2023

Impressions d'Afrique - Raymond Roussel

Vers quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff. [R.R.]

La littérature explorée comme une mécanique de précision, comme un dispositif libre, inventif, mais méthodique et minutieux, comme un catalogue de procédés, comme un treillis de conceptions, comme un étalage organique de plantes, d'animaux, d'êtres et de machines aux propriétés toutes plus éclatées et déconcertantes, voilà devant quoi je me trouvais en m'immergeant dans cette relecture de l'œuvre majeure de Roussel, auteur que d'aucuns perçoivent comme un surréaliste avant l'heure, comme un plagiaire par anticipation de l'Oulipo, tout au moins comme un écrivain à l'imagination débordante. Cela peut être déroutant, mais il est impératif d'accepter de se laisser porter par cette écriture aux saveurs originales pour en déguster le nectar. 

Dès les premières lignes, nous sommes devant une représentation qui met en scène des numéros qui apparaissent disparates (cirque, chants, démonstrations d'appareils merveilleux, récitals), c'est le gala des Incomparables. Le narrateur nous en livre des descriptions détaillées; chaque numéro possède son univers. Voilà la première partie d'Impressions d'Afrique. La seconde aurait pu la précéder en ce qu'elle en révèle les tenants, l'origine et la préparation. On voit alors les machines et les appareils du Gala se construire avec toute la précision et la rigueur que cela pouvait supposer. C'est comme si Roussel nous exposait la construction du roman en organisant les mots et le langage tel une machine qui libère l'imagination.

La nuit s'était faite peu à peu, et, sur la rive, un phare d'acétylène, fixé au sommet d'un pieu, éclairait, à l'aide de son puissant réflecteur braqué avec soin, tous les détails de l'étonnante machine vers laquelle convergeaient tous les regards. [R.R.]

Au sommet de chaque cylindre, une manette tournant facilement sur elle-même servait à régler l’ouverture d’un robinet intérieur communiquant par le conduit de métal avec la cage en verre ; Bex pouvait ainsi changer à volonté la température de l’atmosphère interne ; par suite de leurs perturbations continuelles les fragments de bexium, agissant puissamment sur certains ressorts, actionnaient et immobilisaient tour à tour tel clavier ou tel groupe de pistons, qui, le moment venu, s’ébranlaient banalement au moyen de disques à entailles. En dépit des oscillations thermiques les cordes conservaient invariablement leur justesse, grâce à certaine préparation imaginée par Bex pour les rendre particulièrement rigides. Doté d’une résistance à toute épreuve, le cristal utilisé pour les parois de la cage était merveilleusement fin, et le son se trouvait à peine voilé par cet obstacle délicat et vibrant. [R.R.]

dimanche 14 mai 2023

Fuir - Jean-Philippe Toussaint

Serait-ce jamais fini avec Marie?  [J.-P.T.]

Des mystères, des hasards, quelques circonstances et coïncidences, et l'étrange sensation que le monde se déroule en dehors de nous, voilà ce qu'on peut ressentir devant cette nébuleuse mission professionnelle réalisée pour Marie, la femme avec qui le protagoniste dépassé du roman vient de rompre, lui qui est entraîné dans un tourbillon incontrôlable et l'étrangeté d'un parcours de train entre Shanghai et Pékin, en passager sur une moto endiablée près de la Cité interdite, puis sur l'île d'Elbe pour accompagner le deuil de Marie. Ce court roman est magnifiquement écrit d'une plume qui assume totalement son décalage. J'ai aimé me laisser guider par ce narrateur qui ne semble pas comprendre plus que moi et qui transmet son désarroi dans cette fuite en écriture.

Nous nous faufilions entre les véhicules pour glisser le long de ronds-points embouteillés et accélérions encore, suivions à toute allure, le visage au vent, d’interminables lignes droites bordées de blocs d’habitation en mauvais carrelage blanc, parfois de simple béton brut, couleur sablée ou vieux plâtre, centres administratifs et bâtiments officiels sur lesquels veillaient des militaires en faction, quand je vis soudain apparaître sur ma gauche le monumental portrait de Mao au-dessus de l’entrée de la Cité interdite, et, fugitivement, dans le même mouvement fuyant de la moto qui nous emportait, les fameuses enceintes roses du Palais impérial que nous étions en train de longer, en même temps que Zhang Xiangzhi, devant moi, qui continuait de conduire la moto sans ralentir, lâchait un instant le guidon pour m’indiquer l’édifice du bras en me criant : Gugong, Gugong !, tout en levant le pouce en l'air dans le vent pour témoigner sans doute en quelle haute estime il tenait le monument (et m'en conseiller par là même, en quelque sorte, implicitement, la visite), et que moi-même, cramponné à son dos et la vue gênée par un vieil autobus vert et jaune qui était en train de nous dépasser, je me retournais pour apercevoir une dernière fois l'enfilade de toits en pagode de la Cité interdite qui disparaissait déjà au loin (ainsi fut-il ce jour-là de ma visite de la Cité interdite: j'eus à peine le temps de reconnaître que nous l'avions déjà dépassée). [J.-P.T.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Toussaint

Jean-Philippe

La salle de bain

31/07/2023




lundi 27 février 2023

J'étais juste à côté - Patrick Nicol

Quand j'étais jeune, j'avais un Etch A Sketch. [P.N.]

Voilà un roman en forme de journal d'observations du monde, des observations faites depuis un point de vue marginalisé, un regard déjà vieux, une filature du temps qui fuit par un enquêteur dépassé. C'est Pierre, un enseignant en littérature au collégial, qui porte sur la société son œil désabusé, déçu. Réfugié dans la littérature dont il n'a pas su transmettre la passion, il ne sait pas allier son intimité à celles des autres et il voit les saisons se suivre depuis la grève étudiante de 2012 jusqu'au début de la pandémie. C'est par l'entremise du quotidien que l'auteur, Patrick Nicol, fait entrevoir et expose la nostalgie de son personnage, peut-être un double de lui-même ou une excroissance de sa propre expérience. On ne peut que se reconnaître dans certaines attitudes ou quelques postures face à la vie et la société. Voilà un auteur dont je lirai assurément d'autres romans.